L'âne musicien

L'âne musicien sur les routes de Compostelle

Les pèlerins qui ont emprunté la Via Turonensis (voie de Tours), se souviennent certainement de la représentation de l'âne à la lyre rencontrée sur l'archivolte du portail sud de l'église saint Pierre d'Aulnay de Saintonge, portail du 12ème siècle.

Cette représentation est identique à celle de l'âne à la lyre de Saint Nectaire, de Brioude ou encore de Saint Benoit sur Loire et encore bien d'autres églises romanes.


Tous ces ânes musiciens romans ainsi que l’âne qui vielle de Chartres ont été inspirés par Boèce.

C'était un savant humaniste et homme d'Etat du 5ème siècle dont l'influence dans le monde médiéval fut considérable. Un manuscrit latin datant de 1200 environ, conservé la Bibliothèque Nationale, fait justement allusion à "l'âne à la lyre de Boèce" : « onos liras boetii ».

Et si l'on se reporte à ce texte de Boèce, on constate qu'il reprend les paroles du psaume 92.6 « L'homme stupide n'y connaît rien, Et l'insensé n'y prend point garde ».

Et l'insensé n'y comprendra rien. L'âne n'est donc pas ici, comme l'ont prétendu plusieurs auteurs, pour donner quelque leçon de morale, mais pour nous inviter à comprendre.

Sans doute s'agit-il de comprendre ce livre de pierre qu’est l’église romane et peut être même pour nous inviter à comprendre le mystère divin.

C’est évident, il ne s’agit pas d'un simple amusement de sculpteur.

Ce thème de l’âne musicien, évoquant couramment l’ignorance d’un lourdaud prétentieux, est fréquent dans le bestiaire roman.

On en fait généralement remonter l'origine à une fable de Phèdre (1er siècle de notre ère). " L'âne, voyant une lyre abandonnée par terre dans une prairie, s'approcha et essaya les cordes avec son sabot, elles résonnèrent dès qu'il les toucha : " joli instrument parbleu, mais c'est mal tombé dit l'âne, car je ne sais pas en jouer. Si quelqu'un de plus savant l'avait trouvé, il eût charmé les oreilles par de divines mélodies ".

L’âne musicien suggère le 7ème art libéral, la musique, qui pourrait le mettre en relation avec les harmonies supérieures.

Que la musique soit sacrée ou profane, elle est une activité propre à l’être humain. Dans la mesure où l’on fait jouer un instrumentiste animalier le pas est franchi entre le genre humain et le monde animal.

Dans la pensée chrétienne l’animal musicien symbolise l’ignorance prétentieuse et la paresse spirituelle au lieu et place de la recherche zélée du Tout Autre. L’âne musicien rappelle aux

hommes que leur ignorance ne leur permet pas d’approcher l’essence des choses. Cette ignorance est un obstacle à la vision de la Lumière.

C’est un voile, même un épais bandeau, posé sur les yeux qui occulte cette Lumière qui était la véritable Lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l'a point connue.

Elle est venue chez les siens, et les siens ne l'ont point reçue. (Jn 1,9-11).Voila ce que veut nous dire l’âne musicien qui nous renvoie notre propre image. Il nous indique notre propre ignorance de cette Lumière qui, pourtant, est en chacun de nous, cette étincelle de divin que nous partageons tous, mais que nous ne voyons plus. Le voile sur nos yeux nous cache la Réalité et ce que nous prenons pour vérité n’est finalement qu’illusion.

Comme thérapie à cet aveuglement spirituel, le Chemin de Saint Jacques restitue l'homme dans ses racines. Parce qu'il relie l'homme à la nature et par elle à Dieu. Parce que sur le chemin, rien ne s'oppose au passage de la Lumière. Parce qu'il est voyage et reconnaissance du véritable « opus dei » (oeuvre divine) sous la forme du travail de la nature et de celui des hommes. Parce qu'il est chemin de solidarité, de fraternité et finalement de spiritualité.


Gilbert BUECHER

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